lundi 28 juin 2010

Georges Guillain

Compris dans le paysage

l’écrire
pour me souvenir

moi

une vie ordinaire sans rien
sans souvenirs immondes sans
grincements de dents

sans que je me sente obligé non plus
d'être
absolument moderne

doutant de tout
ce que pauvrement je possède

un corps
des images

à peine

un sentiment de la beauté des choses


* * *

Compris dans le paysage, synthétise l’expérience d’une conscience sensible accablée par le mal de se sentir appartenir à la grande infraternité trop souvent abjecte des hommes tout en ne pouvant s’empêcher de s’éprouver vive et nue, surgie qu’elle est, vibrante aussi, parmi les choses.

Inspiré par la découverte du camp de concentration français du Struthof établi par l’armée allemande dans un magnifique paysage des Vosges, marqué par le délire idéologique entraîné par les attentats du 11 septembre 2001, Compris dans le paysage s’affirme aussi comme un long poème ébloui qui tente de replacer le discours poétique au cœur d’une subjectivité vivante que le monde ne cesse de déborder de toutes parts.

Dans une lettre adressée il y a quelques années à l’éditeur François Boddaert, à l’occasion de la sortie de son livre Consolation, délire d’Europe, l’auteur se demandait de quoi la poésie, « la pensée libre qui s'incarne dans une forme pleine », était encore capable dans un monde où toutes les belles illusions de l’enfance, les rêves progressistes, se sont évanouis au contact de ce que l’Histoire, et l’expérience lucide de la vie nous apprennent finalement sur nous-mêmes et la face de moins en moins cachée, et hideuse, du monde.
Il y soutenait l’idée que les poètes pourraient bien constituer au fond « les vrais Parfaits de notre temps, capables de dresser des bilans de douleurs, d'opposer au moins la protestation de la langue et son intelligence à cette fomentation de l'horrible parmi laquelle nous conduisons gentiment la petite troupe de nos appétits et de nos charités calculatrices ».
Dans cet étouffant champ de ruines que constitue aujourd’hui, à bien des égards, notre paysage moral, la poésie ne pourrait-elle pas redonner in fine souffle à cette partie de nous- mêmes qui a perdu toute illusion de surface mais ne se résigne pas à la perte de sens, et continuer d’inventer cet espace de respiration et de clarté devenu de plus en plus nécessaire ?